Le samedi matin, j’avais pris l’habitude d’accompagner ma mère au marché. On ne partait jamais bien tôt, vers neuf heures environ et après une quarantaine de minutes de marches on arrivait à destination. Mes sœurs ne venaient jamais avec nous et j’étais heureuse de ce moment privilégié avec ma mère. Je me sentais plus grande et plus forte quand je l’aidais à porter toutes nos acquisitions. Ce n’était pas grand-chose mais je me rappelle que rien que de l’aider me rendait heureuse et fière de moi.
Le marché avait toujours été un endroit que j’avais apprécié avec ses odeurs, toutes ses couleurs, l’animation qu’il y avait avec les personnes discutant entre elles et se saluant… Tout cela me remplissait de joie et machinalement un sourire apparaissait sur mon visage. J’aurais pu rester là des heures, rien qu’à regarder les gens passer, le marché vivre autour de moi.
Avec ma mère, on avait nos habitudes, on savait ce qu’on allait acheter avant même d’arriver. Mais elle était comme moi et on ne pouvait s’empêcher de regarder les autres étals ou de s’arrêter devant quelque chose qui retenait notre attention. Cela nous donnait parfois des idées d’achats que l’on n’avait pas prévues. Même si j’appréciais d’imaginer que ce que l’on allait acheter, j’aimais aussi l’inattendu, bousculer mes habitudes en achetant de nouvelles choses à découvrir.
Ce qui me rendait encore plus fière c’était que ma mère me laissait parfois payer à sa place. Je me sentais vraiment utile car j’avais une grande responsabilité : donner l’argent que l’on devait au commerçant sans me tromper. A chaque fois que je donnais la bonne somme, j’avais l’impression d’avoir réussi une épreuve qui me rapprochait du monde des adultes.
Je voyais bien malgré tout qu’il y avait une différence entre moi et les adultes, sans même prendre en compte notre différence de taille. Même si j’agissais comme un adulte en leur donnant l’argent, il ne me traitait pas comme tel. Tous les commerçants (je l’avais remarqué à force d’observer) se montraient indulgents avec moi et me laissaient prendre mon temps pour compter. Alors que pour les autres, cela ne se passait pas comme ça : ils étaient bien plus rapides que moi pour rendre la monnaie. Cela m’avait rendu triste au début de voir que même si j’essayais, je ne pouvais leur ressembler. Mais les commerçants n’étaient pas gentils avec moi uniquement sur ce point-là. Ils leur arrivaient de me donner des morceaux de fruits qu’ils coupaient exprès pour moi afin de m’y faire gouter. A ce moment-là, j’étais contente d’être considérée comme un enfant et non comme un adulte qui, lui n’avait pas ce privilège.
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