Cela ne fait que quelques mois que je suis ici et je sens combien je suis utile pour elle. Au moins trois fois par jour je la vois, j’ai donc de l’importance pour elle. C’est ce que je pensais au début mais son comportement s’est de plus en plus dégradé. Ce n’est pas que je ne la vois plus. Non, je reste même une bonne partie de la journée avec elle, seule la nuit nous sépare. Je suis contente de voir mon amie tous les jours mais quelque chose n’est plus comme avant.
À chaque fois que je suis avec elle, il y a toujours quelqu’un et je regrette nos moments de solitude et de complicité. J’ai beau me dire que l’autre personne n’est jamais la même, que moi je suis toujours là, cette situation me fait souffrir. Je ne peux m’empêcher de me poser des questions. Pourquoi avait-elle besoin d’autres personnes si elle m’avait moi ? Ne lui suffisais-je plus ? Était-ce donc de ma faute ? Et qu’arrivait-il à toutes ces personnes qu’elle avait en plus de moi ? S’en débarrassait-elle dès qu’elle n’en voulait plus ? Toute cette réflexion me glaçait d’effroi en pensant à ce qui avait pu leur arriver. Je ne connaissais bien moins mon amie que je le pensais. Comment pouvait-elle renier une amitié aussi facilement ? Elle avait changé et je ne m’en étais même pas rendu compte. Je me sentais si mal, si j’avais compris ce qui se passait avant, j’aurai peut-être pu empêcher tout ça. Je faisais vraiment une mauvaise amie. Je le savais, elle n’était pas comme ça normalement, elle se sentait juste seule malgré ma présence et celle de tous les autres.
Malgré le fait qu’elle devait se sentir mal, je ne comprenais pas pourquoi elle avait changé. J’étais là pour elle, moi. Elle aurait pu se confier, me parler de ses problèmes. J’aurai fait tout pour la soutenir et tout serait devenu comme avant. Juste elle et moi. Heureuses.
Au fil des semaines, malgré tous mes efforts pour lui parler, je voyais la situation empirer et je ne savais plus quoi faire. Elle voyait de plus en plus de gens par jour mais cela ne durait jamais bien longtemps. Elle s’en débarrassait maintenant avec une frénésie qui me dépassait. Mais ce n’était pas la seule chose qui avait changé. Parfois quand elle était enfin seule avec moi, je remarquai son regard sur moi… Ce regard me faisait peur et je priais pour ne plus me retrouver seule avec elle. Ce n’était pas très sympa pour les autres mais quand elle s’occupait d’eux, elle m’oubliait.
Malgré l’inquiétude que je ressentais en sa présence, je voulais tout de même rester avec elle car elle restait mon amie. Mais l’espoir que les choses s’améliorent diminuait de plus en plus. Je ne savais plus quoi faire pour l’aider, tout ce que j’avais essayé n’avait pas marché : demander aux autres de partir car ils lui faisaient plus de mal que de bien, tentatives pour la raisonner… Depuis ce jour, je dors mal toutes les nuits et tous les jours j’ai la peur au ventre. Peur pour elle mais aussi pour notre relation. Elle ne semblait pas remarquer mon état et je comprenais bien que j’avais échoué dans mon rôle d’amie.
Je sentais petit à petit que je ne pouvais plus supporter cette situation. Tout ce stress accumulé me fatiguait. Au début, j’avais essayé de positiver mais maintenant je n’y arrivais plus. Mon apparence en faisait les frais : ma couverture dont je prenais toujours soin d’habitude était abimée et il arrivait que mes pages tombent d’elles-mêmes. Cela énervait Anne et je l’entendais souvent dire qu’elle allait bientôt me remplacer.
Cela aurait dû me toucher mais je souhaitais juste que tout cela finisse. J’en avais assez de notre relation qui était devenue toxique. Alors, même si elle se débarrassait de moi, je l’accepterai car cela ruinait ma vie. Et ce qui devait arriver arriva : un jour, toutes mes pages furent remplies et Anne entreprit d’acheter un autre de mes compatriotes. Je ne lui étais plus d’aucune utilité et j’acceptai donc ma mort avec résignation, espérant que son nouvel ami réussirait là où j’avais échoué.
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