Coloc

Où donc avait bien pu passer le bouchon de la baignoire ? On se le demande. Toujours est‑il qu’il avait disparu.

Ce n’était pas la première fois que des objets disparaissaient, mais je ne le remarquais pas, du moins, au début. Il ne s’agissait que d’objets insignifiants ou peu importants (une fourchette, un stylo, un vieux ticket de caisse, etc). Au début, je n’en parlais pas, n’ayant pas envie que mes voisins me prennent pour une folle. Je mettais ce qui m’arrivait sur le compte de mon imagination.

Au bout d’un moment, les disparitions devinrent trop importantes pour que je n’y fasse plus attention. Ce n’était plus de simples objets que je ne retrouvais plus : la télécommande avait disparu plusieurs fois au point que j’en avais trois maintenant, car elles réapparaissaient à chaque fois. Certains de mes livres s’amusaient aussi à changer de place. J’avais même parfois l’impression que l’on m’avait pris de l’argent. Et maintenant, c’était ce bouchon de baignoire. Je ne comprenais tout simplement pas. Il n’y avait pas que ça : parfois, quand je rentrais, toutes les lumières étaient allumées ainsi que la télévision. Ce que je croyais uniquement de simples disparitions commençait à me faire peur. Est-ce que quelqu’un entrait chez moi ? Mais comment était-ce possible ? Je fermais toujours ma porte à clé et vérifiais toujours la fermeture de toutes les ouvertures avant de partir. Pourtant, à chaque fois que j’avais constaté un changement chez moi, il n’y avait eu aucune effraction. La personne responsable des vols ne pouvait pas entrer par un autre moyen que la porte principale.

Je décidai de faire une déclaration à la police, mais n’ayant aucune preuve, je ne fus pas écoutée. Par conséquent, je demandai aux voisins s’ils avaient connu les mêmes problèmes. Après une longue discussion avec ceux qui étaient les plus proches de chez moi, j’appris que ma situation n’était pas si particulière. Madame Bernard, une vieille dame qui habitait dans la maison mitoyenne de la mienne, avait remarqué que ses chaises changeaient régulièrement de place et que ses aiguilles à tricoter disparaissaient au moins une fois par semaine. Elle avait beau les changer de place, elle ne les retrouvait jamais. Pour ce qui était des autres voisins, qui habitaient à cinq ou à dix mètres de chez moi, ils ne semblaient pas concernés par ce qui se passait. J’eus beau leur poser de nombreuses questions, aucun d’entre eux n’avait les mêmes problèmes que ma voisine et moi. Je ne comprenais pas pourquoi le voleur ne s’intéressait qu’à nos deux maisons.

Je parlai à Madame Bernard de mon passage à la police et de ce que les policiers m’avaient dit. Je lui proposai d’y retourner, pensant qu’avec nos deux déclarations, nous aurions plus d’appui de la part de la police. Comme je me trompais ! À peine entrée dans le commissariat, je fus reconnue immédiatement. Je ne cédai pourtant pas et je leur exposai de nouveau la situation. Ma voisine m’apporta son soutien en décrivant ce qui lui était arrivé et tout ce qui avait disparu de chez elle.

Malgré les évidences que l’on apportait, les membres du commissariat ne voulurent pas nous croire. Selon eux, le témoignage de Madame Bernard n’était pas acceptable. C’était une vieille dame et on ne pouvait pas accorder foi à ce qu’elle disait. Les vieilles dames racontaient toujours des histoires pour se rendre intéressantes et pour oublier la solitude, selon eux. Ils ne nous crurent pas et pensèrent avoir affaire à deux mythomanes. Ils nous prévinrent même que l’on pouvait se faire poursuivre, pour, je les cite, « faux témoignage ».

Nous repartîmes, toutes les deux en colère, et j’invitai Angèle (elle m’avait demandé de m’appeler par son prénom) à prendre le thé chez moi. Nous eûmes une longue discussion, ce qui nous permit de nous changer les idées. J’appris alors qu’Angèle n’était pas mariée. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas trouvé quelqu’un : elle avait divorcé et, malgré le fait qu’elle avait retrouvé l’amour, elle n’avait jamais officialisé cette relation devant l’Église ou à la mairie. Aujourd’hui, son ami l’avait quittée et elle restait dans cette maison, malgré son absence.

Elle me posa des questions elle aussi sur ma vie personnelle, mon travail de bibliothécaire. Elle me demanda la raison qui m’avait poussée à acheter une maison, alors que je vivais seule. Je n’aimais pas particulièrement parler de ma vie à d’autres personnes mais, avec elle, je me sentis en confiance. J’avais choisi ce quartier car il était en ville, mais tout de même excentré. Il était donc facile de se retrouver dans la campagne en dix minutes de marche. Pendant longtemps, j’avais vécu dans un appartement et je ne supportais plus cet environnement. Au moins, dans cette maison, j’avais un jardin. Mon seul regret était que je n’avais pas besoin d’autant de place et que je ressentais encore plus ma solitude dans cette grande maison vide. Je ne savais pas ce que je préférais : un appartement tout petit ou une maison avec suffisamment d’espace pour deux ou trois personnes au moins.

Après notre longue discussion, ma nouvelle amie retourna chez elle. Nous décidâmes de nous voir régulièrement et organisâmes une sortie ensemble la semaine suivante. En attendant, chacune de son côté essayerait de trouver une solution à notre problème. La police ne voulait pas nous croire, nous allions donc trouver des indices irréfutables et même peut-être arrêter le voleur nous-mêmes.

Pour l’instant, la première étape était de repérer la méthode de notre visiteur. Nos maisons étant mitoyennes, on pouvait facilement entendre ce qui se passait à côté. Nous avions décidé qu’il y aurait au moins l’une d’entre nous qui resterait pour surveiller si quelque chose d’anormal arrivait. Je ne pouvais pas être tout le temps présente, du fait de mon travail, mais ma voisine me promit de faire des rondes régulièrement autour de nos deux maisons. Je lui donnai un double de mes clés, afin qu’elle puisse entrer dans ma maison, et elle fit de même.

Pendant deux semaines, il ne se passa rien, comme si le voleur savait que l’on souhaitait l’arrêter. Mais, un jour, alors que je venais de commencer ma journée de travail, ma voisine m’appela. Je répondis immédiatement, pensant qu’on avait du nouveau dans cette histoire de disparition. Elle me dit alors avoir entendu d’étranges bruits venant de chez moi, comme quelqu’un fouillant dans mes affaires. Elle m’avait vu partir le matin au travail et savait que je n’étais pas à la maison, elle m’avait donc directement appelée.

 Je lui dis de m’attendre avant d’attraper notre homme car j’avais peur de ce qu’il pouvait lui faire. On ne sait jamais : dans toutes les histoires de cambriolage, les propriétaires finissent souvent blessés par l’intrus. Je raccrochai donc, montai dans ma voiture et me dirigeai chez moi.

Une fois arrivée, je m’arrêtai une dizaine de mètres avant ma maison et continuai le chemin à pied pour ne pas me faire remarquer. Je retrouvai alors ma voisine devant la porte de chez moi. Elle avait pris chez elle un couteau de cuisine au cas où. Je n’avais pas d’arme sur moi pour me défendre et remerciait intérieurement l’esprit d’initiative de mon amie. J’avais tout de même prévu le coup, emportant un appareil photo avec moi, afin d’avoir une preuve de l’effraction et, peut-être, un portrait du voleur. Ensemble, nous nous dirigeâmes vers la porte d’entrée. Nous remarquâmes qu’elle était grande ouverte. Le voleur avait bien les clés de chez moi, comme je le soupçonnais auparavant.

Nous pénétrâmes alors dans la maison, silencieusement. On entendait toujours du bruit, provenant du salon, comme si la personne cherchait à nous indiquer précisément où elle était. J’ouvris la porte et m’apprêtai à sauter sur la personne intruse quand elle se retourna et nous vit. Je n’hésitai pas et prit une photo avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir. Il s’agissait d’un homme, plus grand que nous deux et légèrement plus âgé que moi. Nous lui barrions le chemin mais il ne semblait pas inquiet, au contraire un peu surpris par notre comportement. Pourtant, il ne s’enfuit pas alors qu’avec son gabarit, nous n’aurions pas opposé beaucoup de résistance. Je profitai de la situation pour lui poser des questions : « Pourquoi faites-vous cela ? » et « Quel est votre but ? ». Il ne me répondit pas et continua ce qu’il faisait avant notre arrivée, fouiller les moindres recoins de ma maison. Je n’appréciai pas son silence et me rapprochai de lui, Angèle me suivant de près.

Une fois arrivées à sa hauteur, il feignait toujours d’ignorer notre présence. Je me mis alors à lui parler : « Monsieur, j’aimerais que vous arrêtiez ce que vous êtes en train de faire et que vous sortiez de chez moi. Si vous ne le faites pas immédiatement, j’appellerai la police. ». Il ne répondait pas. La situation commençait à m’énerver et je fis ce que j’aurai dû faire depuis le début : appeler la police. Je commençai à composer le numéro et lançai un regard à ma compagne pour qu’elle le surveille.

Il se retourna alors subitement vers moi et me dit : « Attendez, je peux vous expliquer ». Je raccrochai au dernier moment tout en pensant « Bien, ma manœuvre a eu l’effet escompté. Je rangeai mon téléphone, montrant ma coopération, et attendit ses explications.

Il m’annonça alors quelque chose qui me surpris : « Vous feriez mieux de demander à votre amie de vous expliquer la situation. Je me tournai vers Angèle. Elle me regarda alors avec tristesse : « Je suis désolée que tu l’apprennes comme ça. J’ai fait tout ça pour toi, tu sais ». Je ne sus pas quoi répondre et la laissait donc poursuivre. « Les disparitions, tout ce qui est arrivé dans ta maison, c’est moi qui l’ai organisé. J’avais remarqué que tu semblais seule et j’avais trouvé ce moyen pour faire changer ta vie. » Je me mis à parler : « Mais, si vous vouliez devenir mon amie, vous n’étiez pas obligée de recourir à ce stratagème ». Elle me répondit alors : « Ce n’était pas mon but. J’ai rencontré Edwin peu de temps après que tu as emménagé ici. Il s’est confié à moi. Il avait prévu d’acheter la maison où tu habites, mais tu l’as fait avant lui. Seulement, il avait déjà vendu son appartement et se trouvait sans logement. Peu de temps après, il a perdu son travail. Il ne vivait depuis que de petits boulots et, comme on lui refusait un appartement, il a commencé à vivre dehors. Ses patrons, en apprenant sa situation, ont refusé qu’il travaille pour eux et il s’est retrouvé sans moyen. »

Ce qui se passa après, ma voisine me le raconta en l’abrégeant. Elle avait voulu accueillir le jeune homme chez elle mais il avait refusé. Il y avait une maison en face de chez nous qui était inhabitée. Edwin avait donc logé là-bas pendant qu’elle l’aidait du mieux qu’elle le pouvait. Il avait enfin réussi à trouver du travail mais si ses collègues ou son patron savaient qu’il était sans logement, il retrouverait sa situation précédente. Angèle avait donc cherché une solution plus durable et l’avait finalement trouvée. Ma maison était suffisamment grande pour accueillir une personne de plus et elle avait pensé me proposer de l’accueillir.

Je restai sans voix pendant quelques minutes après son récit. Je repris malgré tout rapidement mes esprits. Je m’adressai à Angèle : « Alors, tout ce que vous avez fait pour moi, tout ce que vous m’avez dit, vous ne l’avez fait que dans un seul but, que je l’accueille chez moi ». Sa réponse ne m’apporta pas la précision voulue mais me rassura tout de même. Elle m’avait parlé au début car elle me trouvait sympathique et non pour aider cet Edwin.

Je ne savais quelle décision prendre. Devais-je accepter d’aider Ethan ? Je ne le connaissais pas et je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance. Je pris finalement ma décision : je l’accueillerais jusqu’à ce qu’il ait suffisamment d’argent pour se trouver un logement. Il était un parfait étranger pour moi mais mon amie lui faisait confiance et, par conséquent, moi aussi.

Si Edwin fut surpris par ma décision, il ne le montra pas et se contenta de me remercier. Nous nous mîmes d’accord sur les conditions de notre collaboration : il m’aiderait à payer une partie de l’argent pour la maison mais aussi pour les autres dépenses (courses, électricité, etc.) en échange de mon accueil.

Des années passèrent et Edwin et moi vivions toujours dans la même maison. Angèle habitait toujours à côté de chez nous. Le quartier n’avait quasiment pas changé, malgré les années. Toutes les maisons du quartier étaient habitées sauf une, la même qu’avant.

Dans le vestibule de la maison d’en face, une maison ordinaire, sans code d’entrée, le tas d’excréments laissé par le clochard refroidissait lentement.

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